Le groupe pharmaceutique et agrochimique Bayer, l’un des plus puissants d’Europe, est aujourd’hui au cœur d’une controverse mondiale. L’acquisition de Monsanto en 2018 pour 63 milliards de dollars a non seulement consolidé sa position de leader sur le marché des produits agricoles, mais a également ouvert la porte à une avalanche de poursuites judiciaires. Au centre de cette tempête se trouve le glyphosate, molécule phare du célèbre herbicide Roundup, accusé de provoquer des cancers chez les utilisateurs.

Bayer fait face à une vague judiciaire sans précédent

Depuis 2018, Bayer fait face à une explosion de litiges. Aux États-Unis, plus de 177 000 plaintes ont été déposées par des particuliers affirmant que l’exposition prolongée au Roundup a causé des cancers, principalement des lymphomes non hodgkiniens. Ces procès ont déjà coûté plusieurs milliards de dollars au groupe allemand. En 2020, Bayer avait annoncé un accord amiable de 10,9 milliards de dollars pour régler une grande partie des litiges en cours, mais ce compromis n’a pas mis un terme aux poursuites. Cependant, de nouvelles plaintes continuent d’affluer, augmentant la pression financière et juridique sur l’entreprise.

En mars 2025, un jury de Géorgie a condamné Bayer à verser 2,1 milliards de dollars à John Barnes, un plaignant souffrant d’un lymphome. Cette décision, qui comprend 65 millions de dollars de dommages compensatoires et 2 milliards de dommages punitifs, marque l’une des condamnations les plus lourdes subies par le groupe. Cette affaire illustre l’ampleur du risque juridique qui pèse sur Bayer.

Le glyphosate sous le feu des critiques

Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde. Sa popularité repose sur son efficacité à éliminer les mauvaises herbes tout en facilitant les pratiques agricoles intensives. Cependant, son innocuité fait l’objet d’un débat scientifique intense. En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé le glyphosate comme « cancérogène probable » pour l’humain.

Bayer s’appuie sur les évaluations d’organismes de réglementation, notamment l’Agence de protection de l’environnement (EPA) aux États-Unis et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui considèrent que le glyphosate est sans danger lorsqu’il est utilisé conformément aux instructions. Pourtant, ces conclusions ne dissipent pas les inquiétudes. Plusieurs études indépendantes continuent de pointer un lien possible entre l’exposition au glyphosate et certains cancers.

Un composant du Roundup au cœur de la controverse

Roundup, glyphosate, BayerLe principal composant du Roundup, le glyphosate, est classé comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé. Malgré cela, Bayer continue de défendre l’innocuité de son produit, s’appuyant sur des décennies de données scientifiques et les évaluations d’organismes de réglementation.

Bayer adopte une stratégie défensive agressive

Face à la multiplication des condamnations, Bayer adopte une stratégie juridico-médiatique combative. L’entreprise fait systématiquement appel des jugements défavorables et investit massivement dans des campagnes pour réhabiliter l’image du glyphosate. En 2023, elle a lancé un programme de communication mondiale mettant en avant les bénéfices du Roundup pour la sécurité alimentaire et la lutte contre le changement climatique.

Bayer cherche également à influencer les décisions politiques. En novembre 2023, la Commission européenne a renouvelé l’autorisation du glyphosate pour dix ans, une victoire pour le groupe. Cette décision a suscité l’indignation des associations environnementales et de plusieurs États membres, dont la France, qui plaident pour une interdiction progressive.

Des répercutions financières majeures

Les répercussions financières de cette crise sont colossales. Depuis l’acquisition de Monsanto, la valeur boursière de Bayer a chuté de plus de 50 %, effaçant près de 40 milliards d’euros de capitalisation. Les investisseurs, inquiets des coûts liés aux litiges et des incertitudes réglementaires, se désengagent progressivement.

Ces litiges ont des répercussions significatives sur la santé financière de Bayer. Après certaines condamnations, l’action de l’entreprise a chuté de manière notable en bourse, reflétant les inquiétudes des investisseurs face aux risques juridiques et financiers liés au Roundup.

En réponse à ces pressions, Bayer a annoncé un plan de restructuration majeur. Ce programme comprend la suppression de 12 000 emplois d’ici 2026 et la diversification vers des solutions agricoles numériques moins controversées. Pourtant, ces mesures peinent à rassurer les marchés.

Conséquences pour l’industrie pharmaceutique européenne

L’affaire Bayer-Monsanto dépasse largement les frontières de l’agrochimie. Elle fragilise l’ensemble du secteur pharmaceutique européen en alimentant un climat de méfiance accrue envers les grandes entreprises du secteur. Cette crise remet en question la crédibilité des études internes et des processus d’homologation réglementaire. Les organismes de contrôle font désormais l’objet d’une surveillance plus étroite, et les exigences de transparence se renforcent.

D’autres groupes pharmaceutiques, comme Sanofi ou Novartis, surveillent de près l’évolution de ces litiges. Toute nouvelle condamnation pourrait entraîner un durcissement des régulations européennes sur les substances controversées et accroître la pression juridique sur les multinationales. Les entreprises du secteur doivent également anticiper un renforcement des obligations de vigilance sanitaire et des politiques de gestion des risques.

Sur le plan financier, les investisseurs deviennent plus prudents face aux risques juridiques massifs. Les opérations de fusion-acquisition pourraient ralentir, les conseils d’administration redoutant des passifs cachés similaires à ceux de Monsanto. Enfin, cette affaire alimente un débat public sur l’éthique des géants pharmaceutiques et la nécessité d’une plus grande responsabilité sociale et environnementale.

Un avenir incertain pour Bayer

Malgré les difficultés, Bayer persiste à défendre l’innocuité du glyphosate. L’entreprise espère que les futurs procès lui seront plus favorables, misant sur l’épuisement des plaignants et la complexité des recours juridiques.

Cependant, les batailles judiciaires ne montrent aucun signe de ralentissement. De nouvelles actions collectives se forment en Europe et en Amérique latine. Aux États-Unis, plusieurs États envisagent des règlements plus stricts sur l’utilisation du glyphosate. Le risque d’une interdiction totale plane toujours, menaçant le modèle économique de Bayer.

Voir aussi: Pénuries de médicaments en Europe une crise sanitaire incontrôlable

L’affaire Bayer-Monsanto pourrait devenir un cas école sur la responsabilité des entreprises face à l’impact sanitaire et environnemental de leurs produits. Si les plaignants continuent d’obtenir gain de cause, Bayer pourrait devoir réinventer son avenir ou risquer un effondrement sans précédent dans l’histoire de l’industrie chimique mondiale.

La situation actuelle de Bayer illustre les défis auxquels sont confrontées les multinationales lorsqu’elles doivent concilier innovation, rentabilité et responsabilité sociale. Les litiges en cours pourraient redéfinir les normes de sécurité et de transparence dans l’industrie agrochimique.