L’Union européenne traverse une période charnière dans son histoire expansionniste avec l’élargissement de l’UE. Alors que le processus d’intégration de nouveaux membres semblait acquérir une dynamique inédite après l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les derniers mois de 2025 révèlent une réalité institutionnelle complexe où les ambitions géopolitiques se heurtent aux mécanismes décisionnels du bloc communautaire.
Le veto hongrois paralyse les négociations de l’élargissement de l’UE
La procédure d’adhésion de l’Ukraine se trouve actuellement dans une impasse totale. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán oppose systématiquement son veto à toute progression substantielle du dossier ukrainien, gelant de facto un processus qui nécessite l’unanimité des vingt-sept États membres à chaque étape franchie. Cette obstruction atteint son paroxysme avec l’organisation par Budapest d’une consultation nationale dont les résultats prétendent légitimer cette position intransigeante. Selon les autorités hongroises, quatre-vingt-quinze pour cent des participants se seraient opposés à l’adhésion ukrainienne, bien que le taux de participation demeure largement inférieur aux scrutins électoraux habituels.
Cette stratégie de blocage s’inscrit dans un contexte politique national délicat pour Orbán, à moins d’un an des législatives hongroises. Le dirigeant hongrois affirme désormais qu’une adhésion de l’Ukraine ruinerait le bloc européen et refuse catégoriquement que l’intégration européenne devienne un instrument de guerre. Sa proximité affichée avec Vladimir Poutine et son alignement sur les positions de Donald Trump compliquent davantage la situation. Les diplomates européens décrivent ouvertement cette posture comme un chantage politique dicté par les intérêts du Kremlin, tandis que Kiev multiplie discrètement les démarches diplomatiques pour tenter de faire fléchir Budapest.
Des solutions innovantes pour contourner l’obstacle
Face à cette paralysie institutionnelle, Bruxelles explore des mécanismes inédits pour maintenir vivante la perspective d’élargissement. La Commission européenne envisage sérieusement de poursuivre le travail technique préparatoire sans validation formelle des États membres, permettant ainsi à l’Ukraine et à la Moldavie de progresser sur les chapitres de négociation relatifs à l’énergie, à la concurrence ou à l’État de droit. Cette approche pragmatique vise à préparer le terrain pour une accélération future du processus dès que les obstacles politiques seront levés.
Une proposition encore plus audacieuse circule dans les couloirs européens depuis octobre 2025. Certains États membres, notamment l’Autriche et la Suède, plaident pour une révision des règles d’adhésion qui permettrait d’accueillir de nouveaux membres sans leur accorder immédiatement un droit de vote complet. Ces pays n’obtiendraient un droit de veto à part entière qu’après une réforme profonde du processus décisionnel européen, basée sur l’introduction du vote à la majorité qualifiée pour la plupart des questions. Cette idée révolutionnaire nécessiterait toutefois une modification des traités fondateurs, exigeant précisément l’unanimité que Budapest refuse actuellement de concéder.
Les autres candidatures dans la tourmente
La Moldavie partage le même calendrier que l’Ukraine depuis l’octroi du statut de candidat en juin 2022. Le pays a franchi une étape symbolique majeure avec le référendum d’octobre 2024, où cinquante virgule quatre pour cent des électeurs se sont prononcés en faveur de l’adhésion européenne, malgré les ingérences russes dénoncées par les autorités moldaves. La présidente Maia Sandu maintient fermement l’objectif d’une intégration complète d’ici 2030, tandis que le parti pro-européen Action et Solidarité a remporté les législatives de septembre 2025 avec une majorité confortable. Cette victoire constitue un signal d’espoir pour la population moldave et renforce la légitimité démocratique du projet européen du pays.
La situation géorgienne illustre quant à elle les limites de la conditionnalité européenne. L’adoption de lois répressives inspirées de la législation russe, notamment celle concernant les agents de l’étranger, a provoqué un gel du processus d’adhésion au printemps 2025. Les élections municipales d’octobre, remportées par le parti au pouvoir mais contestées par l’opposition pro-européenne, ont creusé le fossé entre Tbilissi et Bruxelles. Malgré les appels de la Haute représentante Kaja Kallas à des sanctions plus strictes, les vetos hongrois et slovaque empêchent toute mesure contraignante supplémentaire.
L’impératif de réforme institutionnelle
Le débat sur l’élargissement de l’UE révèle une vérité incontournable que les dirigeants européens ne peuvent plus ignorer. L’unanimité requise pour les décisions majeures devient un handicap stratégique majeur dans une Union qui aspire à compter trente ou trente-cinq membres. Emmanuel Macron l’a souligné dans son discours de la Sorbonne en affirmant que l’Union ne pourrait s’élargir qu’en se réformant profondément et en se simplifiant. L’accord franco-allemand pour instaurer la majorité qualifiée en matière de politique étrangère et de fiscalité constitue une avancée théorique, mais sa mise en œuvre effective demeure tributaire des mêmes règles d’unanimité qu’il cherche à abolir.
La présidence danoise du Conseil de l’UE pour le second semestre 2025 s’engage publiquement à exercer une pression maximale sur Budapest pour débloquer la situation. La ministre danoise des Affaires européennes Marie Bjerre martèle que l’absence d’élargissement risque de faire perdre des pays entiers dans la sphère d’influence européenne. Notamment en compromettant ainsi la sécurité et la stabilité du continent. Cette approche reconnaît implicitement que l’élargissement de l’UE constitue désormais un investissement géostratégique vital plutôt qu’un simple exercice bureaucratique d’harmonisation législative.
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Les prochains mois détermineront si l’Union européenne parvient à transformer ses institutions pour répondre aux défis du vingt et unième siècle. Entre les aspirations légitimes des pays candidats, les blocages institutionnels persistants et la nécessité d’une réforme profonde des mécanismes décisionnels, l’élargissement de l’UE incarne toutes les contradictions d’une organisation qui doit simultanément élargir son périmètre et approfondir son intégration.
La capacité des dirigeants européens à résoudre cette équation complexe conditionnera non seulement l’avenir géopolitique du continent, mais également la crédibilité même du projet européen auprès des citoyens qui en attendent protection, prospérité et influence dans un monde multipolaire de plus en plus instable.
